Folie & génie, à pile ou face ?

Folie & génie, à pile ou face ?

tableau de Paulin Nikolli

Dans son livre « Un coup de hache dans la tête », Grasset, 256 pages, janvier 2022, Raphaël GAILLARD, normalien et psychiatre qui dirige le pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne et de l’université de Paris, explore dans une enquête passionnante le lien entre génie et folie.

Son enquête suit tour à tour les pistes scientifique, clinique et philosophique.

La piste scientifique, s’appuie sur des études statistiques récentes qui démontrent la parenté génétique entre troubles mentaux et créativité, et sur des études génétiques qui permettent de dater l’apparition des gênes associés aux troubles psychiques au moment de l’apparition du langage, il y a 150 000 ans.

La piste clinique ensuite, met en évidence à travers l’étude de trois principaux troubles psychiques (la dépression, les troubles bipolaires et la schizophrénie), la difficulté pour les malades d’être libres, en particulier de ressentir des émotions, d’être ou d’agir.

Enfin, la piste philosophique met en évidence que « créativité et troubles mentaux, seraient les deux facettes d’une même faculté, celle de se représenter le monde, faculté qui nous condamne simultanément à créer et à nous égarer », selon Raphaël GAILLARD.

Cette enquête passionnante aboutit donc à questionner notre représentation du monde.

Or, ce questionnement fait également partie du travail que nous proposons en coaching pour expérimenter d’autres façons d’agir et d’être soi et ainsi pour ajuster vos modalités de représentation du monde..

Par conséquent, le livre de Raphaël GAILLARD nous interroge sur l’origine de la créativité en coaching : ne serait-il pas judicieux de prolonger cette enquête en osant nous questionner, en toute réflexivité, sur la proximité étonnante entre les outils de coaching et les descriptions cliniques des troubles psychiques ? Ne serait-ce pas en vertu de cette proximité que des outils de coaching, comme par exemple la dissociation simple ou le modèle des parties, parviennent à libérer notre créativité pour la mettre au service de notre désir de progrès ?

La Piste scientifique : la parenté génétique entre troubles mentaux et créativité

En suivant la piste scientifique, Raphaël GAILLARD met en évidence qu’il y « aurait quelque chose à la racine qui fait de nous des êtres humains, cette potentialité et de créer et de s’égarer dans la folie ». Il démontre qu’il y a une « vulnérabilité commune aux troubles mentaux et à la créativité » (p. 139).

Des études statistiques novatrices (cf. KARLSSON, 1970) avaient mis en évidence que « le fait d’avoir un parent souffrant de trouble mental augmente la probabilité d’en souffrir […] La maladie chez l’un conduit à deux fois plus de risques d’en souffrir chez l’autre » (p. 30).

Plus récemment, les statisticiens (cf. KYAGA, 2011 et cf. POWER et alii, 2015) ont démontré que cette corrélation s’explique en fonction du patrimoine génétique et non de l’éducation reçue. Pour cela, ils ont croisé plusieurs bases de données : généalogie, tests de QI des conscrits, professions exercées, troubles psychiatriques diagnostiqués et surtout des analyses génétiques disponibles dans certains pays nordiques (Islande, Suède, Danemark, Pays-Bas) sur plusieurs générations. La conclusion est sans appel : « c’est bien la base génétique (le score polygénique) et non la proximité avec un apparenté souffrant de troubles psychiatriques qui conditionne la créativité » (p. 142).

Les études paléogénétiques permettent d’aller plus loin. « Les gènes associés à une vulnérabilité aux troubles mentaux ont subi une pression de sélection positive au cours de l’Évolution. Ils sont ainsi plus fréquents dans chez l’homo sapiens en comparaison de l’homme de Néandertal. De plus, le pic de fréquence de ces gènes daterait de 150 000 à 100 000 ans avant notre ère, c’est-à-dire dans les suites immédiates de l’apparition du langage et précédant ce qu’il est convenu de désigner sous le nom de révolution cognitive (p. 144) […] Ainsi notre cerveau a-t-il subi de profondes transformations, pour le meilleur essentiellement, mais non sans inconvénients. Vulnérabilité à certaines maladies classiquement liées au vieillissement, fragilité des informations échangées entre neurones […] Tout se passe comme si la machine avait été poussée à un tel point de surrégime que des failles ont fini par surgir […] notre cerveau […] ne se supporte plus. » (p. 149)

La Piste clinique : des pathologies de la liberté de ressentir, d’être et d’agir

En suivant la piste clinique et l’étude de trois principaux troubles psychiques (la dépression, les troubles bipolaires et la schizophrénie), Raphaël GAILLARD met en évidence la difficulté pour les patients d’être libres de leurs affects et de leurs représentations du monde, donc d’agir.

Dépression

La dépression, d’abord, est perçue comme le tribut du génie humain, des Grecs à la Renaissance. La formule de René CHAR l’illustre magnifiquement en écho au mythe de la chute d’Icare : « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ».

Raphaël GAILLARD explique que la dépression se caractérise par trois symptômes : humeur dépressive marquée par la tristesse et la perte de plaisir ; le ralentissement psychomoteur ; l’altération des fonctions instinctuelles (appétit, sommeil, libido) (p. 51).

« Les personnes souffrant de troubles dépressifs évoquent une fatigue tout autant physique que psychique : la perte du drive comme le disent les anglo-saxons (p. 52). La dépression réduit les contrastes et colore à l’encre noire nos facultés de liaison et de déliaison entre affects et représentations, c’est-à-dire ce qui nous permet de donner la couleur au monde (p. 86) »

La Chute d’Icare (https://artpla.co)

Troubles bipolaires ou maniaco-dépressif

Les troubles bipolaires, ensuite, sont ceux de l’enthousiasme grec, de l’opposition entre furor et insania des romains ou de la folie romantique. Ils sont ceux d’une sensibilité à fleur de peau, de l’instabilité de l’artiste capable de vivre des émotions intenses : excitation positive mais payée ensuite au centuple par un inexorable retour de balancier. Malgré leur vive intelligence, les patients souffrant de troubles bipolaires ont une grande difficulté à percevoir cette mécanique des émotions. Ils subissent ces différentes façons d’être eux-mêmes.

Raphaël GAILLARD explique que « le trouble bipolaire, ou maniaco-dépressif, se caractérise par l’alternance de phases dépressives et de phases maniaques, en miroir des premières ; par un déséquilibre, des ruptures entre des états foncièrement différents qui obèrent le travail de création » (p. 74).

« A l’image du Janus à deux têtes, l’orientation du regard est diamétralement opposée selon la nature des épisodes. Ce n’est pas seulement l’écoulement du temps, c’est la flèche même du temps qui change : rumination et culpabilité vers le passé sans aucune perspective d’avenir ; résolument tournée vers le futur et ses infinies promesses dans la manie » (p. 74 et 84).

A gauche, Janus !

Schizophrénie

Les troubles schizophrènes, enfin, sont ceux des surréalistes. Ils conduisent à une dissociation, Spaltung selon le mot allemand de BLEULER, psychiatre suisse du XXème siècle. Ainsi, « les affects perceptibles ne sont pas accordés aux idées du moment (p. 99) […] On assiste à une perte de l’évidence naturelle (p. 100) »

Raphaël GAILLARD explique que la schizophrénie se caractérise par trois symptômes : les symptômes positifs que constituent les idées délirantes et les hallucinations ; les symptômes négatifs, notamment le repli social ; la désorganisation de la pensée et des actes (p. 97).

La pensée schizophrène est tangentielle (p. 105) […] Dans la schizophrénie, le mot n’est plus seulement l’évocation d’un objet, il acquiert la valeur pleine de cet objet (p. 111) : Docteur, cela ne sert à rien de ressasser le passé, de regarder derrière moi, je veux construire mon futur, me tourner résolument vers l’avenir. D’ailleurs Docteur, j’ai retiré les rétroviseurs de ma voiture (p. 109) […] Il y a dans la langue de la schizophrénie quelque chose de poétique » (p. 105), c’est-à-dire, au sens propre, en lien avec le pouvoir de créer une représentation du monde, par l’art ou par la pensée.

Le schizophrène et le rétroviseur !

Conclusion sur la piste clinique

Ainsi, la synthèse des troubles psychiques exposée par Raphaël GAILLARD met clairement en évidence les difficultés pour ses patients d’être libres de leurs affects, de leur représentation du monde et donc d’agir. C’est ce qui a conduit Henri EY, psychiatre français du XXème siècle, à définir les maladies mentales comme des « pathologies de la liberté ».

La Piste philosophique : notre représentation du monde nous égare

En suivant enfin la piste philosophique, Raphaël GAILLARD met en évidence que « créativité et troubles mentaux, seraient les deux facettes d’une même faculté, celle de se représenter le monde, faculté qui nous condamne simultanément à créer et à nous égarer » (p. 190). « Le concept de chien n’aboie pas » dit la citation que l’on prête à Spinoza » (p. 188).

Raphaël GAILLARD met joliment en évidence que « le langage est intrinsèquement le lieu des quiproquos. Quid pro quo, une chose pour l’autre, c’est la fonction même du langage que de constituer un quiproquo, en remplaçant la chose par le mot qui la désigne. Magie du langage que de faire simultanément apparaître et disparaître : le mot prend la place du réel tout en en rendant compte, il s’y substitue. Dans ce jeu de bonneteau, on perd davantage que son argent, […] on perd pied avec le réel. »

Quiproquo

Alors, « à partir du moment où nous nous représentons les choses, nous avons perdu l’accès au réel […] En accédant à la conscience, nous nous condamnons à ne plus manipuler que des images déformées du réel. A ce titre, nous sommes des orphelins du réel, nous en avons perdu l’immédiateté du contact. Ce pourrait être cela, notre chute du Paradis : la trahison du réel » (p. 181).

Le Coaching : une pratique pour ajuster notre représentation du monde

Cette enquête passionnante aboutit donc à questionner notre représentation du monde. Or, ce questionnement fait également partie du travail que nous proposons en coaching pour expérimenter d’autres façons d’agir et d’être soi et ainsi pour ajuster vos modalités de représentation du monde.

Ce travail concret sur les représentations ne procède ni de la magie ni de la psychiatrie. Il s’agit d’un travail d’accompagnement pas-à-pas pour questionner nos modalités de représentation, au sens littéral, de la réalité : cette représentation est-elle auditive ou visuelle ? Si elle est visuelle, les images sont-elles claires/sombres, nettes/floues, etc. Car, agir sur la représentation de la réalité, c’est agir sur la réalité… telle que nous la vivons !

Ainsi, la pratique-même du coaching apporte un argument supplémentaire pour corroborer lien de parenté entre créativité et troubles psychiques.

Enfin, il est intéressant de prolonger cette réflexion en soulignant que certaines techniques d’accompagnement reposent sur des schémas qui miment partiellement les symptômes des troubles schizophrènes. Ainsi certaines techniques efficaces de PNL (Programmation Neuro Linguistique) permettent de « se dissocier » de sa représentation du réel ou d’accepter que notre psyché puisse parfois laisser s’exprimer « plusieurs parties de soi » aux points de vue divergents. Ces techniques consistent à affaiblir l’habitude et la force de la représentation et permettent de faciliter l’imagination et la création d’une nouvelle représentation faisant la synthèse des contradictions limitantes.

La dissociation, ou comment sortir du prisme de ses lunettes !

Et vous, avez-vous déjà essayé de modifier vos modalités de représentations du monde ?
Si vous souhaitez être accompagnés, contactez-nous !

Jean GALAND